Anita Eckstaedt, psychanalyste allemande, examine le cas d'un patient, et spécialement de son enfance au temps de la deuxième guerre mondiale. La prise en compte par l’analyste de la dimension historique permettra à cet homme de trouver l’issue de la répétition aveugle déclenchée par un traumatisme grave au cours des événements.

L’auteur note - ce que j’avais constaté aussi dans ma pratique - que d’une manière générale tous ceux qui sont nés autour de cette période, sont marqués par des effets qui se manifestent à plus ou moins long terme, voire à travers les générations.

Pour repérer ces traces dans le cadre d’un travail analytique, il est capital que l’analyste soit au clair de son rapport au donné historique ; le fait d’avoir survécu à une telle période, peut générer un ressenti, comme une faute insupportable, et procurer un sentiment de culpabilité latent. Ce qui peut motiver des positions de banalisation, même chez des analystes : « mais en ces temps là, c’était tout de même normal ».

L’auteur relate le cas d’un homme de 32 ans, marié à une femme qu’il aime. Peu avant d’aller s’installer avec leur fille de 5 ans dans le pavillon qu’il avait lui-même construit, il sombre pour la première fois dans une grave crise d’abattement.  Il connut de terribles crises d’angoisse, serrements de poitrine accompagnés de terribles douleurs au cœur...  allant jusqu'à s’affaisser, avec perte de connaissance, dans la rue. La gravité de l’accès nécessita à chaque fois l’appel de l’ambulance par les passants.

Au moment de reprendre connaissance, il restait de longs moments inanimé, comme mort. L’infarctus diagnostiqué par le médecin ne se vérifiait jamais à l’examen clinique. Un cardiologue, relevant que le patient mentionnait "d’avoir toujours eu peur", l'adressa à un psychanalyste.

En présence de la psychanalyste, l’homme situa le début de ses symptôme juste avant son installation dans sa nouvelle maison avec sa famille.
Après l’avoir longuement écouté, elle lui soumit l’hypothèse suivante : il serait habité, à son insu, par le sentiment qu’il ne méritait pas le bonheur familial auquel il aspirait.

L’homme lui exposa alors son histoire.
Sa famille polonaise de Haute Silésie, à l’initiative de son père au cours d'une permission, décida de quitter leur maison et la région pour fuir les zones à risques. La mère se mit en route avec leurs deux enfants, il avait alors 5 ans et sa soeur neuf. Traversant Dresde, ils se retrouvèrent pris sous les feux de l'un des pires bombardements. Sa sœur touchée tomba et décéda devant ses yeux, à quelques pas de lui.

Lorsqu'il s'adressait à l'analyste, il adoptait le ton du reportage. Ce fait illustre, comment, dans les cas traumatiques graves, l’événement inattendu produit une stupeur pathologique, l’affect se sépare de l’événement et se déplace. Le refoulement se produit. Comme si devant l’inhumain de la situation traumatique, il n’y avait plus de mots pour dire l’horreur. La parole elle aussi est devenue "automatique", sans contenu affectif.

Suit une phase silencieuse recouvrant la réaction traumatique. Jusqu’au moment où, un évènement de la vie revient  "éveiller" ce que le silence avait recouvert jusque là. C’est alors qu’une symptomatologie bruyante fait surface, sans cause apparente.

Dans le cas de cet homme, sa fille avait juste 5 ans au moment où il allait s’installer avec sa famille dans sa maison. L'âge précisément où à l'époque du terrible bombardement sa famille fut déchirée. Ce passé se constitua comme une barrière invisible qui venait faire barrage à l'unité familiale.

« Rien de plus imprévisible que le passé » !

Comment ce traumatisme vient-il produire ses effets "spectaculaires" 27 ans plus tard ?
Pour tenter d'y répondre, examinons les différents aspects d'un traumatisme.
Dans la succession des événements passés, il convient de distinguer deux plans :
- d’un côté la réalité même de la guerre qui vint faire irruption : la fuite, laissant derrière eux leur maison, puis le bombardement, la mort tragique et "spectaculaire" de sa sœur, et l’absence du père retenu en captivité neuf années encore après la fin de la guerre. Un tableau suffisamment lourd pour constituer son malheur.

- de l’autre côté se pose la réalité de l’état psychique du petit garçon avant cette épreuve, et l’examen de la dynamique conflictuelle dans la fratrie, la relation qu'il entretenait à l'égard de sa soeur, sa perception et son ressenti.

Freud nommait « scène fantasmatique », brièvement fantasme, un vécu psychique qui ne peut pas se reproduire sous forme de souvenir… Il ne peut qu'être  reconstruit au cours d’une analyse.

Dans le cas de cet homme, persistait sa fantasmatique inconsciente vis-à-vis de sa sœur, de la période précédent l’événement hautement traumatique.
Le travail de reconstruction a établi que des sentiments agressifs vis-à-vis de sa soeur sous-tendaient leur relation.
La convergence du fantasme agressif de la rivalité "pourvu qu'elle puisse disparaître !" et l'intrusion de réalité inattendue du bombardement causant la mort de la soeur ne sont pas démarqués, à l'âge précoce.
La mort de sa sœur apparaît dès lors comme la terrible réalisation de son fantasme agressif. L'événement déjà terrible en soi, va être aggravé par la position subjective fantasmatique. La culpabilité inconsciente qui en résulte, maintenue, inscrite et souterraine, devient à l’âge adulte l’obstacle à son bonheur. Et tous les symptômes ressurgissent, conformes à l’image de la sœur en train de mourir  : la chute, l'affalement et le sentiment de mort imminente. Le voilà interpelé, guidé par une attitude inconsciente d’autopunition, à devoir payer "une dette de mort".

Si par un travail analytique, la dimension du passé et de ses secrets peuvent être révélés et présentés à l'intégration subjective, de ce " qu'on ne voulait (et ne pouvait) pas savoir " à propos des événements de jadis, alors on peut à nouveau et toujours "faire avec le présent".